Clo Hamelin : "des racines et des veines"

 

ARBRE DU MONDE

 

Arbre du Monde

 

  J’avais laissé Clo Hamelin à la fin de l’été 2016 avec ses essais de nouvelles textures, nouvelles matières, nouvelles formes, recherches, tâtonnements, emportant le souvenir de pouces végétaux qui semblaient sortir de parois minérales. Quelques mois et images par internet plus tard, en visite au Carla-Bayle, j’ai pu approcher physiquement les œuvres récentes de dame Hamelin.

   Du fond d’antres abyssaux, des gouffres cataractant déversent des flots de symboles et de magie ; dans un entrelacs de roches et de végétaux comme engendrés par des abysses marins, une femme-fée s’élève au milieu de bulles-crânes et flotte dans les frondaisons ; ailleurs, un œil, égaré dans la forêt obscure, scrute votre regard de loin.

  Il y aurait quelque chose de surréaliste dans ce genre d’image, mais ce serait faire fausse route que se suffire de cette classification simpliste ; certes l’imaginaire y est totalement sollicité, l’association d’éléments improbables paraît sublimer le sens du réel que l’on perçoit sous-jacent ; mais rien ici ne ressemble à une quelconque réalité, l’onirisme jaillit de partout, tout paraît surgi d’une sorte d’éruption mentale, d’un corpus créatif en foisonnement, en bouillonnement de mers, de vagues et de cascades. Parfois un personnage (une femme presque toujours) sort en bondissant furtivement de derrière un rideau de racines pour s’engouffrer dans l’anfractuosité d’une paroi minérale qui lui fait face. Au-dessus, l’œil d’un éléphant (Ganesh ?) vous fixe obstinément, ses deux défenses en place au-dessus de la femme engouffrée, comme pour la protéger.

 

REGARD INTERIEUR DE LA FEMME QUI ENTRE

 

Regard intérieur de la femme qui  entre…

 

   Ou bien c’est un océan de neige qui vous submerge et vous fige et vous glace.

 

OCEAN DE NEIGE

Océan de neige

 

  Dans cette autre image, une porte à-demi cachée par la muraille bleue s’ouvre sur un abîme de Mystères ; un caducée flotte devant une tour ou un rempart, une vague déferle.

 

LA VAGUE

 

La vague

 

  L’univers mental de Clo Hamelin est ainsi trouble et mystérieux, déferlant, submersif, entrelacé ; quelques symboles y paraissent parfois, des guides aléatoires pour un sens improbable ; tout en cataractant, la symphonie picturale de Clo Hamelin enchevêtre rêve et imaginaire, songe d’une nuit d’hiver et rêve un jour d’été ; souvent liquide, aqueux et laiteux, le travail de ‘révélation’ pictural se fait principalement par le truchement de cet élément : l’eau ; eau de vie, de sang, de lait, finalement pigments furieux agités par l’angoisse d’une sorte de frayeur intérieure.

   Curieux, je me suis intéressé à la technique employée par dame Hamelin pour réaliser pareilles œuvres : le lait de cire saponifiée me dit-elle, comme si cela allait de soi. Sans entrer dans les détails, qu’elle semble vouloir garder secrets (ses petits trucs de fabrication), pour le reste la recette est ancienne, utilisée déjà dès l’antiquité ; après mélange savant et quasi-alchimique, elle obtient une sorte de lait qui, additionné de poudre de pigment, donne une matière à peindre tout-à-fait particulière, originale, surprenante. Clo Hamelin obtient ainsi des reliefs, des épaisseurs, des liquidités, des couleurs, des reflets, des matités, des brillances cirées, que l’on ne trouve pas, du moins sous cette forme, de cette manière, dans la peinture que l’on pourrait classifier de classique, ou traditionnelle ; en fait, celle à laquelle on est habitué, si l’on fait abstraction de ‘l’art comptant pour rien’.

 

Branchesdeau 

 

Branches d’arbre

 

   Cela donne des résultats étonnants, des mangroves, des racines comme un réseau sanguin, une sorte de Netware mental, cœur et cerveau entremêlés, des racines et des veines, tout un magma de végétaux sillonnés d’eau, de cours, de rus, de flaques, quand ce n’est pas la grande déferlante océane qui barre tout le regard comme dans la ‘Dame blanche’, cette vague que semble commander la haute dame qui s’avance du maelström épais d’où elle vient de paraître ; le regard s’immisce alors dans le tréfonds de ces abysses, s’immergeant comme dans un fond d’œil, mais où la pupille serait retournée, conservant des plaques mentales adhérentes aux parois végéto-picturales.


DAME BLANCHE

 Dame blanche

 

   Clo Hamelin peint le plus souvent sur des panneaux de bois aux formes variables, rectangulaires, carrées, avec cette technique de cire saponifiée - ainsi les surfaces ont à la fois un aspect ciré, brillant, un peu laiteux par endroit, mat sur les épaisseurs de matière - ce qui lui permet de nous montrer ses recherches créatrices avec une nouvelle vigueur, dans ‘une autre veine’ oserais-je dire, selon une sorte de retournement de l’œil auquel auraient adhéré des restes de visions mentales, des rêves accrochés à l’art, directement, par capillarité, produisant cet entrelacement végétal si puissant, si terrible aussi, tellement mystérieux, attirant en même temps.

 

LEAU DELa

  Avallon

   Et Clo Hamelin nous emmène dans son voyage, elle nous prend dans sa barque de vent et nous fait glisser sur des flots inconnus, en route vers Cythère ou Avallon, au cours d’un voyage druidique où la magicienne nous convie, à l’aide de son lait magique, de son philtre de cire, pour nous séduire et nous faire partager le charme de la scène ainsi dévoilée, où se loge parfois des éléments de symbolisme moyenâgeux ou celtique, sorte d’héraldique des âmes.

Ainsi donc l’idée d’une image surréelle, surréaliste, s’estompe au bénéfice d’un travail plus ample, plus dense, plus charnu, épais et vivant, dont les profondeurs seraient certes tirées des forêts calcinées de Max Ernst, les édifices et les paysages rappelleraient le trait de Hans Bellmer ou de Dado, tenant du surréalisme s’il en fut, mais les peintures de Clo Hamelin vont plus loin, passent la paroi de l’image en-dedans, et par des grottes et des portes mystérieuses, semées de stalactites de roche et de végétation mélangées, dans ce dédale de minéro-végétaux nébuleux et cosmique, nous entraînent à sa suite dans les espaces insondables de l’âme humaine, de ses angoisses, de ses terreurs d’enfants, de ses rêves un peu fous, dans le fracas de la vie et de la mort, sa sœur de sang.

  

 LE PASSAGE

 Le passage

 

  Pour aider un peu le modeste visiteur, le néophyte, le voyant anonyme, elle crée parfois des passages (comme dans le tableau éponyme), parmi les colonnes de roche-chair, une ouverture de lumière dans l’espace onirique, vers un ailleurs tout aussi mystérieux, annonciateur d’images insoupçonnées.

   Ou bien encore elle revisite les nymphéas de Monnet, en réalise de ‘nouveaux’, qu’elle étire comme des neurones végétaux sur un bassin d’eau de vie, à la fois tendus mais apaisés.

 

 LesNouveaux Nympheas

 

 Les nouveaux nymphéas

 

  OPHELIE

 

Osée Ophélie

 

  Osée Ophélie’ est une autre de ces forêts calcinées et noyées, transformées en mangroves glauques, que Clo Hamelin propose avec sa technique si particulière au lait de cire : un personnage féminin, diaphane, un peu caché dans les frondaisons, telle une Ondine légère, se glisse doucement dans l’eau.

Quel lien, quel rapport avec l’Ophélie de fiction de la tragédie Hamlet, de Shakespeare ? Fille de Polonius et sœur de Laërte, celle-ci sombre dans la folie et meurt (par suicide ou accident) lorsque Hamlet assassine son père. Clo Hamelin aurait-elle voulu nous passer un message subliminaire, quelque chose d’une tragédie cachée dans sa vie, que sa peinture révèle et répare, par une haute résilience de la vie et certainement de grandes souffrances ?

 

 AUTOPORTRAIT

 

Autoportrait

 

  Ne serait-ce pas une tentative d’apaisement que fait Clo Hamelin avec son lait de cire, lait de bienfaisance, de soulagement, comme un lait maternel, un lait d’amande, une douceur mentale transmise par le vecteur artistique ? Une sorte d’exorcisme de la vie par la pensée artistique, une certaine posture poétique, une place militante de femme et d’artiste dans un monde rude et en plein bouleversement.

   À sa manière Clo Hamelin montre à la fois l’impensable, l’absolue terreur de la contingence, et le remède à y appliquer par la création picturale, la pensée et la poésie.

 

creux a lame

 Les creux à l'âme

 

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